Section de Marne et Chantereine

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Cascade du Bois de Boulogne : Allocution de Cécile Goutmann

Madame,

Monsieur,

Dans cette clairière où nous nous trouvons, à l'aspect si paisible aujourd'hui, se sont déroulés, il y a 68 ans,  des faits d'une dramatique brutalité.

Ici même, dans la nuit du 16 au 17 août 1944, trente-cinq résistants sont tombés, victimes de la barbarie nazie à quelques jours seulement de la Libération de Paris et de sa banlieue.

Pris au piège dans la machination orchestrée par le dénommé Marcheret, agent de la Gestapo qui se faisait passer pour un envoyé de Londres, ces jeunes hommes sont morts de leur détermination à participer aux combats qui pressaient au coeur de la capitale.

Ils étaient, en effet, venus chercher des armes et ont été arrêtés par la Gestapo à leurs différents lieux de rendez-vous, dans un garage rue d’Armaillé dans le XVIème et à la Porte Maillot.

Ils ont été torturés dans divers sièges de la Gestapo à Paris (Rue de Saussaie, Avenue Foch et Rue Leroux)

Le 17 Août au matin, on retrouvera les corps inanimés de sept résistants au pied de l'immeuble de la Gestapo au 10 de la Rue Leroux.

Les autres, au nombre de trente-cinq, seront emmenés au cours de cette même nuit du 16 au 17 Août, dans cette clairière où nous nous trouvons, et exécutés au fur et à mesure qu'on les fera descendre des camions, à la grenade et à la mitraillette.

Les corps affreusement mutilés sont découverts le 17 au matin par un moniteur de l'École des Cadres de Bagatelle. 

Voilà, les faits tels que nous les connaissons grâce notamment aux travaux du regretté Adam Rayski, et tels que nous pouvons les exposer, dans leur froide horreur.

Si cette tragédie, qui a ému la France entière à la Libération, suscite encore aujourd'hui l'effroi et l'émotion, c'est bien au regard de l'objectif poursuivi par les forces de l'occupant et du message envoyé par les acteurs de ce massacre.

Ce triste épisode, voulait atteindre la Résistance en son coeur, en prenant pour cible le souffle même de la Résistance, cette volonté de participer coûte que coûte au combat  libérateur.

Ce n'est donc pas un hasard si les survivants l'ont particulièrement retenu pour leur hommage.

Ils nous ont ainsi témoigné que la flamme de la Résistance que l'on a voulu éteindre,  par les procédés les plus abjects, est restée envers et contre tout, intacte, et que sa vigueur peut encore, doit encore  nous éclairer aujourd'hui.

Année après année, nous continuons donc de nous souvenir de ces  hommes qui sont entrés dans nos vies, qui ont marqué notre histoire et l'Histoire, de manière indélébile et profonde.

Nous devons alors nous interroger sur le sens à donner à ce rendez-vous, qui chaque année nous rassemble dans la même volonté de commémorer bien sûr, mais surtout de ne jamais oublier.

Pardonner, c'est déjà fait : l'historique amitié franco-allemande – au niveau des peuples au moins - est là pour en témoigner, mais oublier : Jamais !

Ici, nous ne voulons jamais oublier ces trente-cinq hommes qui ont fait le choix déterminé de sacrifier leur jeunesse et de même mettre leur vie en péril, pour une certaine idée de la France et de l'humanité.

Nous ne voulons jamais oublier ces hommes qui ont eu l'idée « folle» qu'ils pouvaient peser, par leur engagement, sur l'histoire et choisir ensemble la société dans laquelle ils voulaient vivre.

Nous ne voulons jamais oublier ces trente-cinq qui ont fait le choix de la résistance plutôt que celui de la résignation, résignation qui constitue, « un suicide quotidien », selon les mots d'Honoré de  Balzac.

C'est  bien l'engagement pour la vie, qui animait ces hommes.

Aujourd'hui, aujourd'hui comme demain, et malgré l'émotion évidente que nous ressentons face à ces meurtres ignobles, l'ombre de la mort dans ces destinées tragiques,  ne doit donc pas occulter et nous faire oublier la vitalité à laquelle ils nous invitaient.

Nous honorons ainsi non des icônes figées de l'Histoire, dont l'éclat s'affaiblirait immanquablement avec le temps, nous honorons bien au contraire, la vigueur de ces hommes qui leur a permis de trouver le courage dans cette période si sombre de résister. La résistance représente ainsi fondamentalement, et paradoxalement au regard des dangers qui guettaient ses membres, une ode à l'espoir et une ode à la vie.

 

Si nous honorons les inestimables qualités particulières de chacun de ces hommes, nous honorons également leur volonté partagée de faire passer à travers leur propre avenir, la destinée commune des hommes.

« L'armée des ombres » a ainsi tiré sa force de cet état de conscience qu'il ne peut y avoir de trajectoires individuelles qui ne se construisent en dehors d’un idéal collectif.

Pour cette raison, et alors même qu'ils venaient tous d'horizons forts différents, sur un plan politique, religieux ou social, ils ont su se rassembler pour se débarrasser de l'occupant et de son idéologie haineuse, afin de tracer la voie d'une société nouvelle fondée sur la dignité des hommes, et permettant le progrès de tous et de toutes.

En avaient-ils conscience ? Ce n'est pas sûr... Mais cette articulation, cette imbrication entre le collectif et l'individuel doit nous interroger encore aujourd'hui. Alors que parfois l'on veut nous faire croire que l'individu est seul acteur de sa destinée et donc seul responsable, de sa fortune comme de ses échecs, la force de l'Histoire nous enseigne à l'inverse la puissance du collectif et la nécessité de construction partagée, tendue vers un idéal commun, pour permettre le changement.

 

Il nous appartient d'apprendre de notre passé pour ne pas réitérer les mêmes erreurs.

A l'heure où nos sociétés sont frappées d'une grave crise économique, morale, sociale et financière, et qu’une forme de fatalisme et de résignation paralyse notre pensée, cette question doit nous interpeler et nous rendre vigilants.

La bête immonde sommeille encore, et se revigore à la montée des injustices sociales sur le terreau de la misère et du renoncement. Elle se nourrit du sentiment donné parfois par les politiques d'une incapacité à agir concrètement pour l'amélioration des conditions de vie pour tous et pour une espérance commune.

Ainsi, la seule perspective collective ne peut être le renoncement, de même que le renoncement ne peut être la seule perspective partagée...

Donner le sentiment d'une l'impuissance à générer des avancées collectives, de l’impuissance des hommes à prendre en main leur destinée, conduit malheureusement à ces comportement anti-républicains.

C'est bien sur ce terreau du désespoir et du renoncement que les idéologies les plus rétrogrades prospèrent, ciblant parmi la communauté humaine, des boucs-émissaires à tous les maux.

Ayons conscience, ensemble, que c’est au moment même où le collectif n’existe plus comme vecteur d’émancipation pour tous et toutes que la boîte de pandore s’ouvre.

Il est alors nécessaire, inlassablement, et en mémoire justement de cet engagement pour la vie de la résistance, et de leur combat contre la xénophobie et le racisme, de rappeler sans cesse l'impasse de céder aux sirènes de la Haine, de l'exclusion et de la différenciation.

Pourtant,  et  alors que d’aucuns disent « plus jamais ça »,  trop de nos compatriotes, au motif de leurs propres souffrances, succombent, et ce, encore récemment, à ces sirènes, passant par dessus bord, tout ce que l'histoire a pu nous enseigner.

Il nous reste donc fort à faire pour lutter contre ce fléau qui gangrène l’Europe entière, voire au-delà.

La république n’est ainsi jamais un concept gravé dans le marbre de nos institutions politiques, c’est un objet vivant à insuffler.

C’est d’ailleurs cette volonté de construire une société meilleure qui a conduit les résistants à dresser les pistes  d'un changement radical incarné par le programme du Conseil National de la Résistance, bâti sous la houlette de Jean Moulin dès 1943.

Ce programme, fortement ambitieux portait comme pierre angulaire la participation des citoyens à la conduite de la nation notamment par la maitrise publique des grands secteurs de l’économie. De par la même, il indiquait comme incontournable  l’émancipation des forces de l’argent, émancipation qui reste étonnamment d’un grande actualité.

Ce qui prédominait, alors même que le pays était ravagé par des années de guerre, c’était l’émergence de possibles et l’idée même que l’action collective des hommes pouvait faire le lit du Bonheur de tous.

Voilà la lueur qui peut encore nous éclairer.

Ne jamais renoncer, ne jamais transiger, vouloir vivre libres et mieux encore, vivre ensemble, voilà ce que nous enseigne l’Histoire, voilà comment honorer le combat de ces trente-cinq martyrs dont nous célébrons aujourd’hui la mémoire.

Merci

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Cascade du Bois de Boulogne : Allocution de Cécile Goutmann

Par Cécile Goutmann, le 19 août 2012

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